Queues de lièvres et autres graminées
Vers l’ouest, la rumeur des vagues déborde de la frange des dunes. Vers l’est, derrière l’alignement des pins maritimes, les premières lumières de l’aube. Entre les deux, la dune grise, encore dans l’ombre. Solitude totale. Les lichens et les plantes rases, déjà sèches en ce milieu de printemps, craquent délicieusement sous les pas. Au moment où je franchis une crête de sable, trois lapins détalent dans trois directions différentes. Dans les creux, c’est un moutonnement de chênes verts penchés où l’on s’insinue, récoltant au passage des fils d’araignées qui se prennent dans les cheveux. Un chevreuil, surpris dans son repos, s’évanouit en quelques bonds. A la limite entre les chênes verts et les pins, des îlots d’arbres morts, victimes des éléments, comme regroupés en ossuaires.
Un peu plus loin, une clarté soudaine attire mon regard: les premiers rayons du soleil révèlent une clairière garnie de « queues-de-lièvre ». Les graminées serrées, alignées parfois, forment un véritable tapis et accrochent la lumière, nuancée par les ombres des pins. Des milliers de petits chatons duveteux se détachent avec éclat sur le vert sombre de la végétation. Avant de s’estomper, la nuit a déposé dans l’herbe son ciel d’étoiles. Marchant vers le nord, la lumière à ma droite de plus en plus présente, je louvoie avec délices de clairière en clairière, l’œil guidé par le doux éclat des herbes.
Je retrouve la magie du clair-obscur, le bonheur du contraste d’une lumière estivale, déjà imaginé en noir et blanc. D’anciennes photos argentiques remontent à ma mémoire: des champs de blés mûrs sur les plateaux de Haute-Provence, des herbes sèches ondulantes sous les oliviers noirs, au pied des Alpilles, dans la clarté inoubliable du sud.
Dans les jours qui suivront je chercherai à nouveau ces champs de « queues de lièvre ». Je les trouverai parfois en arrière des dunes et aux bords des chemins, mais rarement comme ici en clairières et en telle quantité, à la lisière de cette forêt. J’y reviendrai à plusieurs reprises, au petit matin, pour me repaitre de ce tendre spectacle et respirer ce lieu et ce moment privilégiée. Et pour enrichir ma série d’images…
JLB / Littoral Atlantique / Juin 2014 revu et modifié Mai 2021