Tassilis
Roger Frison-Roche – Du Hoggar au Tassili – 1950
Marcher dans le désert.
Au fil des jours un rythme s’installe, le temps prend de la consistance, l’esprit se libère, s’envole. Le corps est là, aussi, qui fonctionne, qui avance sur le sable ou la roche, qui reçoit la morsure du soleil, plus vive au fil des heures; émerveillement à chaque pas. Les premières heures de la matinée sont un bonheur pour le photographe. Il faut prendre la peine de s’éveiller avant ses compagnons de voyage, s’extraire de son sac de couchage et s’éloigner du bivouac en direction d’une promesse de lumière. Le soleil n’est pas encore apparent, mais, au-dessus des roches et des dunes, il prépare sa place dans un ciel d’une somptueuse matière, qui semble garder en suspension le sable soulevé par le coup de vent de la veille. Dès qu’il se montre, la lumière rasante embrase le relief qui semble soudain s’extraire des ombres au sol. Un peu plus tard, alors que la caravane a déjà repris son itinéraire, la lumière de plus en plus intense donne une forte densité au moindre caillou saillant, au moindre relief de sable. A l’heure de la « gueïla », c’est le repos à l’ombre d’une roche ou sous un acacia, aux heures les plus chaudes; les ombres portées sur le sol sont à ce moment d’une grande netteté. Les minutes qui encadrent le moment où le soleil se couche est aussi très favorable à la photographie; les contours s’estompent, les contrastes s’apaisent, les roches semblent se replier sur elles-mêmes, le sable se fait accueillant et plein de douceur. Le soir, généralement plus convivial, se passe autour du feu qui sert aussi à préparer le repas. Après quoi chacun se cherche un creux de dune pour s’installer pour la nuit. Et là le grand spectacle commence: à la verticale la ceinture d’Orion allume son losange; près de l’horizon, vers le nord, c’est ensuite la grande ourse qui attire l’attention, puis l’infini des constellations emplit le ciel, parachevé par la voie lactée dont l’écharpe magnifique encercle le ciel tout entier. Un spectacle qui se grave à jamais dans la mémoire. Éteint par nos éclairages urbains nous n’avons plus aucune idée de ce qu’est un ciel nocturne, il faut bivouaquer au Sahara ou en haute montagne pour le découvrir. Ce ne sont plus quelques fades lumières sur fond anthracite plat mais une véritable « joaillerie » (Loti) qui a une telle réalité en trois dimensions qu’on a parfois l’impression de pouvoir atteindre les étoiles les plus proches en levant le bras. Au fil des éveils de la nuit, le ciel bascule vers l’ouest. Il en découle l’impression d’être un point minuscule collé sur la planète par la gravitation, qui tourne vers l’est, alors que le ciel étoilé lui, reste fixe.
JLB 27/11/2019
« Je me suis allongé et j’ai observé les constellations qui brillaient intensément, si loin de toute lumière. Les étoiles scintillaient, la voie lactée était une large ceinture laiteuse traversant le ciel. Pour la première fois sans doute … j’ai senti de manière palpable que je me déplaçais moi, plutôt que les étoiles, et cette sensation n’en est pas moins étonnante qu’elle correspond à la réalité … Je sentais la terre bouger tout doucement sous ma colonne vertébrale, j’en concevais un vertige évident. »
Jim Harrison – La route du retour.