Terra Incognita (Textes)
TERRA INCOGNITA / INTRODUCTION
« Terra Incognita » est un ensemble photographique composé de chapitres qui se cumulent au fil du temps. Chacun possède des caractéristiques spécifiques, tous ont en commun quelques paramètres comme le format carré ou le recours à des photos de paysages personnelles, librement interprétées.
Mais comment expliquer cette soif inextinguible d’espaces infinis aux matières âpres et aux couleurs inédites?
Je m’interroge sur l’origine profonde de ces univers, comme s’ils étaient déjà en germe depuis très longtemps mais inexprimés, en attente dans le labyrinthe de mes souvenirs et de mes espoirs. Combien d’expériences sensorielles et affectives enfouies dans l’abîme de l’inconscient sont à l’œuvre dans la création de ces images? Chacune d’elle est une énigme à résoudre.
Cette genèse est indissociable de la matière, des éléments naturels et d’un vécu fondateur remontant à l’enfance. Il me semble que l’immersion dans ces univers minéraux a été une quête constante, que ce soit dans les déserts, en montagne, sur le littoral ou dans d’autres régions arides d’ici ou d’ailleurs. Autant d’expériences jubilatoires riches en sensations et en émotions. Autant de matière première de choix, sensible et photographique.
L’édition créative m’a permis de donner corps à cette géographie intime. Si, dans ces contrées imaginaires, la couleur semble être le principal élément qui creuse l’écart, l’espace n’est pas en reste, délibérément nourri d’ambigüité et d’incertitude. L’attirance vers ces contrées invisibles est intense. Elles semblent parfois apparaître comme par enchantement, ou demandent un investissement pour parvenir à les dévoiler. Mais chaque nouvelle création comble l’espérance que fait naître le vide du carré à investir.
Ces territoires peuvent être séduisants ou inquiétants. Je vous y invite à une exploration des confins de notre univers chimérique. Aucun dragon n’en garde l’entrée, comme le figuraient les anciens cartographes. Avec ces images, j’ouvre grandes les portes de mon imaginaire et de mon inconscient! Qu’elles soient aussi, pour d’autres regards, des invitations à rêver, s’évader, se retrouver peut-être…
Bienvenue en « Terra Incognita ».
TERRA INCOGNITA / HORIZONS
Arpenté à pied durant une ou deux semaines, le désert donne un sentiment d’espace, de liberté et de douceur. Il comble tout rêveur venu faire le plein de sensations, d’émotions et d’images. On dort à la belle étoile, on n’apporte rien, on ne laisse rien, en dehors de la trace de ses pas que le vent fera disparaître
Observés du hublot d’un avion à l’aller ou au retour, ces parcours semblent infimes par rapport aux immensités qui se déroulent sous nos yeux. On est saisi de vertige à la vue de ces contrées sans limites où se distinguent nettement le maillage des dunes, les ramifications des oueds, les plaines rocailleuses des regs, les vagues de sable des ergs, les reliefs tabulaires, les pitons rocheux.
Certes, sur ces immenses territoires, il y a bien quelques routes ou pistes de poussière, quelques caravanes ou autre traces d’activités traditionnelles mais à cette distance, il est rare de les repérer. L’impression globale est de voir se dérouler sous nos yeux d’immenses terres inconnues, à la fois proches car on en a goûté tous les ingrédients, et aussi lointaines que la surface d’une autre planète. Le spectacle devient sublime lorsqu’à certaines heures du couchant ou du levant, on croit deviner au loin la rotondité de la terre, une tempête de sable, un ciel étoilé, une lune pleine. On se prend à rêver d’une planète préservée, de mondes nouveaux à explorer, avec tout le respect qui s’impose.
Cette série a été nourrie à la fois de ces souvenirs toujours vivaces et de ces songes de quiétude et de minéralité. Elle propose une méharée inédite, sinuant entre réalité et mirages.
TERRA INCOGNITA / HAUTES TERRES
J’ai 8 ans… Dans mon refuge, au grenier, entre mon chat/tigre et une pile d’invendus de « comics », j’explore avec « Akim » les reliefs fabuleux qui s’élèvent à la limite de la jungle, demeures des dieux protégées par des tribus belliqueuses et des créatures fantastiques…
J’ai 10 ans… Depuis mon plat pays, j’imagine à quoi peuvent ressembler les plus hautes montagnes du monde avec « Tintin au Tibet » et le « Temple du soleil ».
J’ai 12 ans… Dans un pensionnat cafardeux, je m’évade grâce aux « Marabout Junior » de la bibliothèque. Avec « Bob Morane » je découvre des plateaux tabulaires coupés du monde par des falaises inaccessibles, un éden où ont survécu de paisibles dinosaures…
J’ai 15 ans… Toujours dans le même internat déprimant, il y a l’éclaircie dominicale des films de « Connaissances du monde », des bouffées d’air frais qui me transportent au pied des Tepuys du Venezuela, dans les montagnes acérées et noyées de brumes de Nouvelle Guinée, chez les Dogons au pied de la falaise de Bandiagara…
J’ai // ans… et je ne me lasse toujours pas des récits d’aventures et d’explorations. Je descends la rivière « Concord » avec Henry David Thoreau, je flâne dans les grands espaces sauvages d’Amérique avec Jim Harrison, j’affronte les rafales marines aux Iles d’Aran avec Nicolas Bouvier, j’arpente les steppes d’Eurasie avec Sylvain Tesson, j’emboîte le pas de Raymond Maufrais vers les monts Tumuc-Humac, et je traque une météorite mystérieuse au large de Chinguetti, en compagnie de Théodore Monod…
J’ai // ans… Je ne suis jamais devenu explorateur ou aventurier mais épisodique et banal marcheur/photographe, parcourant à pied de minuscules bouts de planète, en quête de nature préservée. De divers sites d’Espagne, de France, du Maroc, d’Algérie, de Madère, j’ai rapporté la matière première photographique de ces « Hautes Terres ». Associées, conjuguées et interprétées à l’aune de ma fantaisie, ces images, pour tenter de m’inventer de nouveaux territoires à explorer.
Et aussi restituer un peu de cet imaginaire cultivé au fil du temps… aussi puéril qu’essentiel!
TERRA INCOGNITA / LE SILENCE DES PIERRES
Elles sont la matière essentielle de notre planète, souvent cachées par la fine couche de vie dont nous faisons partie. Elles nous révèlent leur nature originelle lorsqu’elles jaillissent avec panache des bouches des volcans. Refroidies, elles se dévoilent aux regards lorsque les éléments s’acharnent à décaper son épiderme pour en révéler l’os. Au bord de l’océan, en haute montagne, partout où l’érosion modèle et sculpte la roche pour mettre en évidence sa beauté, la minéralité donne de la force aux paysages.
Emprunter la vire creusée dans une falaise, escalader pierre par pierre les derniers mètres d’un sommet, se faufiler dans un chaos, affronter l’instabilité d’un pierrier, le lover dans le creux d’un rocher modelé par les vagues, marcher sur une crête dénudée comme sur un fil, descendre le creux d’un canyon creusé par les millénaires, caresser un galet longuement poli par les vagues, franchir un lapiaz avec mille précautions, se perdre dans le labyrinthe de grès d’un tassili…
Autant d’expériences qui ont cultivé et enrichi cette relation privilégiée avec le minéral. Une attirance qui ne va pas de soi. Les pierres semblent figées et pourtant elles évoluent, s’effondrent, s’usent, se transforment… mais seulement leur temps n’est pas le nôtre! Leur destin est millénaire, le nôtre insignifiant. Les pierres ont tout leur temps et nous ne percevons que leur silence. Pourtant elles nous délivrent en permanence un message: celui de la patience et de l’humilité. Elles nous incitent à partager leur plénitude; elles sont complices du calme et de la lenteur qui s’instillent en nous à leur contact.
Et lorsque l’espèce humaine se sera autodétruite, elles seront toujours là, sentinelles du temps, en attente d’un autre monde. Et elles contribueront peut-être, en se délitant, à alimenter l’humus d’où pourra émerger une intelligence nouvelle, plus humble et plus respectueuse.
TERRA INCOGNITA / TERRES D’OMBRES
A force d’explorer ces terres inconnues, Il fallait bien qu’un jour ou l’autre j’arrive dans ces contrées reculées où la griserie des espaces vierges se heurte au mur des ténèbres.
Ce territoire où la nature accueillante se retourne comme un gant pour révéler sa face cachée. Il reflète alors notre part d’ombre, nous laissant sur un fil entre élan vital et résignation face à un devenir écrit d’avance. Dans ses replis secrets se dissimulent les peurs d’enfant surgies d’un passé lointain, les incertitudes du présent, les angoisses de l’avenir. Et dans les creux les plus obscurs, les tourments dont on a longtemps cherché à se défaire. On y évolue avec incertitude et inquiétude, en cherchant un moyen d’évasion, une porte de sortie vers la lumière.
Le monde essentiellement minéral qui le constitue semble rongé par les vapeurs issues des profondeurs. Un labyrinthe de ténèbres qui attirent et repoussent, qui invitent à fuir ou à s’y perdre.
Mais dans ce monde qui s’éteint, le feu couve encore sous la cendre. Il suffirait qu’un rayon de soleil déchire les nuées pour que le minéral retrouve couleur et chaleur, pour que s’estompe la tragédie.
A moins que les ténèbres ne gagnent en densité pour mieux cacher les pièges destinés à nous faire passer de l’autre côté du miroir.
TERRA INCOGNITA / SOUS LE SOLEIL…EXACTEMENT
Longtemps j’ai rêvé de désert… Longtemps ce rêve est resté inaccessible. Je le vivais à travers les images du cinéma, de la bande dessinée, les récits des voyageurs, et surtout une imagination nourrie d’expériences sensorielles dans la nature… les plages, le sable, l’été, la chaleur, le plaisir d’évoluer dans de vastes espaces arides.
Tardivement j’ai pu concrétiser ce rêve. Certes ce n’était pas l’aventure mais de simples voyages à pied…ils m’ont permis de découvrir de minuscules fragments du Sahara et différentes contrées d’Afrique. Ces courtes immersions m’ont plus que comblé. A chaque fois c’était comme si je quittais la banalité du réel pour rejoindre mon univers intime. J’y retrouvais intacts des sentiments et sensations enfouies. Avec en prime des expériences que je n’aurais jamais pu imaginer vivre un jour, comme par exemple longer des jours durant l’univers magique de la falaise de Bandiagara ou dormir sous l’impensable ciel nocturne du Sahara.
Puis, la chape de plomb de l’obscurantisme s’est abattue sur ces contrées. Après une décennie de « zones rouges », au moment où certaines destinations redevenaient accessibles, c’est le virus qui nous a retenus durant trois années supplémentaires. Les années se sont empilées et m’ont éloigné du bivouac, définitivement je le crains.
Longtemps (peut-être!), je vais donc à nouveau rêver de désert. Un rêve nourri de souvenirs mais aussi alimenté par des destinations plus accessibles, à la recherche de « déserts de poche » européens, ou tout simplement sur le littoral atlantique. C’est en arpentant ces espaces choisis que j’ai collecté la matière première photographique qui a alimenté cette série. Je l’ai chargée de mes émotions et de mes éblouissements. Je l’ai voulue toute en douceur, attirante, accueillante. La lumière y est vive mais pas aveuglante, comme voilée par un discret vent de sable.
Un monde où je respire avec félicité, fut-il imaginaire. Un monde où j’aimerais un jour pouvoir me dissoudre, ivre de lumière et d’espace.
TERRA INCOGNITA / A SUIVRE PEUT-ÊTRE…
Dans les replis obscurs de ma conscience, se cachent des contrées lointaines, des paysages inviolés, des refuges de liberté. Le sable y est fluide et sensuel, la roche tiède et rassurante. Quand les premières lueurs de l’aube écartent les voiles de brume, je les explore en tapis volant: surtout, ne pas laisser de trace! Le vent m’élève, la chaleur m’éveille. Les monts, les dunes, les oueds, les falaises, les mers depuis longtemps asséchées, s’imprègnent des couleurs de mes pensées. Le temps rejoint l’infini de l’espace. J’y jouis d’une solitude heureuse, accordé au souffle du vent, accroché au vertige de l’instant.